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ETK Onilatki
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29 octobre 2011

Tellurica (3) : la peur.

Il y eut un coup d’Etat dans le pays. Une ambiance tendue s’installa, et très vite la censure s’abattit sur tous les écrits, toutes les paroles et tous les actes. Certaines personnes disparurent. La version officielle affirmait une fuite à l’étranger, mais personne n’était dupe. La population était contrôlée à chaque déplacement. Une manifestation pour la liberté fut très violemment réprimée : il y eut des morts, des blessés graves, des arrestations et des emprisonnements arbitraires. Tout cela entraîna un climat de peur, voire de terreur, et les gens n’osèrent plus s’opposer au nouveau régime. Bientôt, un culte des « Cinq Grands » fut instauré : il s’agissait de vénérer presque comme des dieux les cinq dirigeants du pays, qu’on appelait aussi « la Tête ». Parmi eux se trouvait le professeur qui avait tant dénigré Eugène. Cette dernière, apprenant la mise en place de ce nouveau culte, refusa en des termes très clairs et très crus. Félix trouva le moyen de contourner la censure en hébergeant son blog et celui d’Eugène sur un serveur étranger. Ainsi, les autres pays pouvaient savoir ce qui se passait ici désormais, malgré la fermeture des frontières et l’interdiction faite aux journalistes locaux de sortir et aux journalistes extérieurs d’entrer.

Un jour, une discussion s’engagea entre Eugène et Félix. « Tous ces gens qui se mettent au mieux à genoux et au pire à plat-ventre devant ces trous du cul ça me débecte ! » déclara Eugène.

Ils ont peur, c’est tout… tenta d’expliquer Félix.

Ils ont peur parce qu’ils le veulent bien, répliqua Eugène, regarde combien nous sommes : si on se révolte, tous ensemble, on arrivera à renverser les autres têtes de nœuds !

Le problème, c’est qu’ils sont armés et que nous ne le sommes pas. Et leurs armes sont terribles ; jamais on n’avait vu cela. Regarde, j’ai réussi à pirater une caméra de surveillance et à récupérer les images de la manifestation de l’autre fois. »

C’était impressionnant : les manifestants étaient comme foudroyés à une distance considérable. Les autres se dispersaient mais étaient rattrapés par les forces armées qui les matraquaient. D’autres étaient abattus à bout portant, et ceux qui restaient étaient arrêtés sans ménagement et balancés dans des camions sans vitre.

Peu de jours après cette conversation, Félix disparut. Des agents armés du pouvoir débarquèrent chez lui, retournèrent tout, embarquèrent tout ce qui leur tomba sous la main. Eugène s’était cachée en haut d’un arbre et avait assisté, impuissante, au saccage. Malheureusement, un des membres du commando l’aperçut et lui tira dessus. Elle parvint à s’échapper et retourna chez elle, dans la capitale du pays, et put alors pleinement mesurer le sentiment de peur qui y régnait. Aucun de ses voisins n’osait lui adresser la parole, pas même pour des futilités. Une nouvelle voisine, une femme avec un bébé, avait même refusé son aide quand Eugène lui avait proposé de porter ses sacs de course pendant qu’elle portait la poussette dans les escaliers. Toutefois, quelques minutes après, un mot fut glissé sous la porte d’Eugène. Elle contempla un instant, méfiante, l’enveloppe gisant sur les petits carreaux irréguliers du carrelage, puis se décida à l’ouvrir. Il venait de la femme au bébé. Cette dernière souhaitait lui parler en secret, et avait des renseignements importants à lui communiquer. Etait-ce un piège ? Elle se mit à la fenêtre pour réfléchir. Les toits de la ville s’étendaient à perte de vue. Au loin, le toit du Palais se détachait. Eugène prit des jumelles, et découvrit avec stupeur que des gardes surveillaient avec des longues-vues et des télescopes tous les alentours. L’un d’eux la vit, fit un geste, et Eugène sut qu’il allait tirer avant même qu’un jet de lumière vive ne frappe le mur en face de la fenêtre, formant un trou. Eugène s’était jetée sur le côté. Elle avait perçu la chaleur du jet avant de le voir. Cette chaleur lui rappelait celle qu’elle avait sentie au fond du puits de forage, et plus curieusement celle qui se dégageait de son collier volé. Intriguée, elle reprit ses esprits, se dirigea vers la porte de son appartement, sortit alors qu’une pluie de nouveaux jets s’abattaient, dévala les escaliers et toqua à la porte de la femme qui voulait lui parler. Celle-ci lui ouvrit en tremblant. Eugène n’entra pas tout de suite : elle demanda si les volets étaient fermés. Comme ils l’étaient, elle se faufila dans l’appartement et se cacha derrière un fauteuil. « Faites comme si vous étiez seule, dit-elle.

J’ai des questions et des renseignements, dit la femme.

Je sais… Moi aussi…

D’abord, où est mon mari ? Avant de disparaître il m’a dit qu’il faudrait vous contacter au plus vite.

Je n’en sais rien… Je suis restée éloignée de tout pendant près d’un an. Et je ne sais pas qui est votre mari.

Evo Lemosio. Il disait que vous étiez la seule à avoir raison au sujet de… Je ne me souviens plus de ce qu’il a dit, mais cela parlait d’une source énergique ou énergétique, je ne sais plus.

Oui, Evo… L’un des seuls à m’avoir soutenue…

Il m’a dit qu’ils y avaient eu des répliques de votre collier. Je ne vois pas en quoi cela est exceptionnel, mais…

Etrange, en effet…

Il m’a dit aussi qu’il y avait eu un mensonge, mais n’a pu m’en dire davantage. De quel mensonge parlait-il ? »

Eugène ne répondit pas tout de suite. Elle réfléchit aux jets foudroyants, puis tout devint clair : « l’énergie, expliqua-t-elle, ils ont prétendu ne rien avoir trouvé, et pire : qu’il n’y avait rien à trouver. Or, ces jets foudroyants doivent provenir de cette énergie. Le voilà, le mensonge. Ils ont trouvé quelque chose en suivant mes intuitions à moi, ils ont volé ma découverte et l’utilisent à des fins criminelles. Les ordures ! » Le mot « ordures » était d’une douceur incomparable par rapport aux autres mots qui suivirent.

« Cachez-vous, et ne sortez pas. Vous ne m’avez jamais parlé. » dit Eugène, avant de se précipiter hors de l’appartement et de l’immeuble. Elle voulait protéger la femme et l’enfant d’Evo, et se débrouiller pour remettre la main sur son collier. Elle prit le métro jusqu’au Palais. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir de la bouche de métro, on lui tira dessus. Elle réussit à s’échapper dans une rue adjacente, mais fut rattrapée par une femme aux yeux bleu-glacial, qui portait autour du cou… « C’est mon collier ! » s’écria-t-elle. Elle tenta de le lui arracher, mais n’y parvint pas. Une voiture passa, et la femme en profita pour se soustraire à la vue d’Eugène. Cette dernière, énervée, poursuivit son chemin. Le long d’un mur, devant son ancien lycée, elle retrouva la voiture : la femme de tout à l’heure en sortit, accompagnée de deux hommes au visage dur. Tous trois pointèrent leur arme en direction d’Eugène, qui grimpa alors dans le bus pour sauver sa peau et brouiller les pistes. Quelques stations plus tard, elle descendit. Elle était en centre-ville, au milieu d’une des grandes avenues piétonnes. Là, sur une espèce de charrette, elle trouva deux de ces anciens étudiants : les jumeaux Adrien et Aurélien.

Bonjour, madame ! dirent-ils.

Bonjour, vous deux… Où allez-vous comme ça ?

On travaille là, dirent-ils en indiquant un atelier de menuiserie.

Et on vous cherchait, à vrai-dire.

Ah oui ? Et pourquoi cela ?

L’équipe qui est descendue au fond du puits de forage disparu : la surface ne reçoit plus de signe de vie.

Et alors ?

Ils cherchent des spécialistes pour explorer ce qui s’est passé et leur porter secours. Ils nous ont demandé de recruter des volontaires.

Qu’ils se démerdent ! Ce n’est plus mon problème.

Félix étaient avec eux…

Félix ? »

Eugène réfléchit très vite, elle s’approcha de la charrette, et souffla : « trouvez un moyen de me faire descendre ».

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